Peut-on convaincre quelqu’un qui a toujours raison qu’il a tort ?
Les gens qui ont toujours raison sont agaçants. Pourquoi ont-ils toujours raison ? Qu’est-ce qu’on peut faire, Docteur ?
Préambule : point sur le narcissisme
Dans le sens commun, le narcissisme est l’amour de soi.
En psychologie, le narcissisme est l’ensemble des processus psychiques qui contribuent à l’identité, l’estime de soi et le positionnement par rapport aux autres*. Ces processus comportent une forte charge affective et participent de la construction de la personnalité, depuis nos premières interactions avec le monde qui nous entoure.
Freud parle de narcissisme sain lorsqu’il y a un équilibre entre l’investissement de la libido (l’énergie psychique vitale) envers soi-même et l’investissement de la libido envers l’Autre (le monde extérieur). En gros, quand on s’aime et qu’on aime les autres, ni trop ni trop peu.
Une faille narcissique survient lorsqu’il y a rupture d’équilibre entre ces deux pôles, l’un étant surinvesti par rapport à l’autre.
Sans grande surprise, les premières failles narcissiques trouvent leurs racines dans l’enfance, au gré de la périlleuse construction de notre psychisme. Les causes sont multiples et propres à chacun. Cela peut être lié, par exemple, à une survalorisation parentale, ou à l’inverse au sentiment d’abandon, à l’impression de n’être jamais à la hauteur ou encore au manque d’affection ressenti.
Ces fragilités forgent, à divers degrés et selon le pôle surinvesti, des traits de personnalité aisément reconnaissables, tels une haute/faible estime de soi, la tendance à se survaloriser et à dévaloriser les autres ou l’inverse, la non-remise en question/le doute permanent sur soi, le manque/l’excès d’empathie, etc.
Les traits de personnalité qui relèvent du narcissisme sont associés à des défenses psychiques, lesquelles s’activent dans les situations qui menacent l’identité et l’intégrité psychique de la personne. Le tout étant lié à la nécessité de ne pas écorner l’image que la personne s’est forgée d’elle-même, notamment dans sa relation aux autres. Bien évidemment, ces mécanismes sont inconscients.
Pour en venir à notre sujet, il va de soi au vu de ce qui précède, que les personnes qui ont toujours raison (appelons-les “les PTR”) ont des failles narcissiques, qui les conduisent à mettre en œuvre certains mécanismes qui leur donnent raison, lorsque leur estime d’elles-mêmes est menacée.
Les stratégies des PTR pour avoir toujours raison
Pour une PTR, avoir tort représente donc une menace pour sa consistance narcissique. C’est, partant, source d’anxiété.
Les mécanismes qui lui permettent de se défendre d’avoir tort recouvrent - pour citer les plus évidents - le déni, la dévalorisation de l’Autre et la survalorisation de soi, et plus généralement toutes sortes de distorsion cognitive** (par exemple : la généralisation excessive, l’inférence arbitraire, le biais de confirmation, la minimisation, l’étiquetage ou encore la mémorisation sélective).
Ces mécanismes s’accompagnent bien souvent d’un certain mépris et d’un manque d’empathie envers l’objet menaçant. La PTR s’escrimant à préserver son estime d’elle-même, les émotions et ressentis des autres ont peu de place au débat, surtout lorsqu’il s’agit de supprimer le danger.
Ainsi, quelques soient les arguments avancés par une PTR, ceux-ci sont toujours justifiés par une logique…qui lui est propre. De fait, son système de pensées est cohérent. Mais en vase clos. Les apparences sont sauves, c’est le principal.
Je suis, donc je pense (donc j’ai raison)***.
En bref, une PTR est souvent de mauvaise foi et pas toujours sympa, mais elle ne le fait pas exprès.
Rigidité mentale
Vous l’aurez compris, une PTR adapte le réel à sa vérité (ou à son image, pourrait-on dire), non l’inverse.
La “logique” qui rend possible cette opération renforce ainsi le narcissisme de la PTR, qui se (ré)conforte dans l’idée que, définitivement, elle a toujours raison. La boucle est bouclée.
En plus d’être rigide, le circuit s’auto-alimente.
Je suis génial.e, tout simplement.
Le problème avec cette rigidité, c’est que la personne reste bloquée dans un espace-temps tandis que le monde évolue autour d’elle. D’où parfois cette impression, avec une PTR d’un certain âge, qu’elle demeure figée dans une autre époque.
Les vieux cons/vieilles biques seraient en réalité d’anciens enfants blessés !?
Mais alors, que faire ?
Existe-t-il des exercices d’assouplissement mental qui pourraient aider une PTR à délier ses modes de pensée ? De prime abord et à notre connaissance, non. L’ancrage est profond, c’est la difficulté. Si une bonne psychothérapie ne ferait pas de mal, les PTR estiment généralement ne pas en avoir besoin.
Être au contact d’une PTR à l’œuvre n’est pas toujours facile à vivre. Les défenses activées peuvent et sont souvent perçues comme des attaques par celui qui en fait les frais, surtout lorsque ses paroles sont niées et ses ressentis minimisés.
Lorsqu’on parvient à identifier les processus en jeu, il faut tout d’abord s’efforcer de ne pas le prendre personnellement. Ce qui se joue n’est pas contre nous.
Il est ensuite sage de ne pas chercher à convaincre ou même faire admettre à une PTR que son point de vue est discutable. Même si l’envie d’en découdre nous démange. Plus la confrontation est frontale, plus les défense sont retorses. Et l’échange désagréable.
N’oublions pas que la PTR peine à intégrer les informations qui iraient à l’encontre de son système : si d’aventure vous obtenez gain de cause cette fois-ci, il y a fort à parier que la PTR n’en gardera pas trace en mémoire.
Il demeure néanmoins possible, pour préserver sa propre estime de soi, d’exprimer ses ressentis et de fixer ses limites lorsqu’une conversation vire au « Je pense, donc j’ai raison ». Après tout, les Autres ont aussi le droit d’exister. A cet effet, la Communication NonViolente**** est selon nous un bon outil.
Dans certaines situations, il est de bon ton de tolérer la frustration…de ne pas avoir raison.
N’est pas Descartes qui veut…
*https://philosciences.com/narcissisme
** La distorsion cognitive recouvre des processus automatiques de pensée qui déforment notre perception de la réalité.
*** Si Descartes ne doutait pas que les humains sont des choses qui pensent (le Cogito), il avait bien compris que nos pensées, au même titre que nos perceptions, étaient, elles, douteuses. Descartes a sans doute eu une famille suffisamment aimante.
**** La Communication NonViolente est une méthode éprouvée de communication favorisant le respect et la bienveillance. Elle se fonde sur l’intention de comprendre et satisfaire les besoins de chacun.